Gregory Crewdson - Picture Window

Figure majeure de la photographie, Gregory Crewdson dresse depuis une trentaine d’années un portrait méditatif de l’Amérique des classes moyennes, un pays aux yeux écarquillés, aveuglé par les lumières d’un rêve épuisé. Ses photographies mêlent une dimension autobiographique au portrait d’une Amérique tombée en disgrâce. Son travail s’inspire des lumières blafardes et des rues désertes, mises en scène telles des séquences de cinéma, pour aboutir à des photographies qui semblent tirées de films qui n’existent pas.

Gregory Crewdson brouille les frontières entre cinéma et photographie. Il conçoit ses œuvres comme des images extraites de films, dont les personnages et les situations énigmatiques révèlent la face sombre du rêve américain. Un éclairage sophistiqué nimbe d’un halo dramaturgique ses mises en scène élaborées, en décor naturel ou artificiel. Le résultat, à la fois onirique et étonnamment réaliste, crée une impression d’« inquiétante étrangeté » dans des contextes qui semblent pourtant familiers. Empruntant au film noir, au drame psychologique et au fantastique, ses photos cherchent délibérément à susciter un sentiment de déjà-vu qui souligne leur caractère troublant et hallucinatoire.

Son attirance pour l’étrangeté et le mystère, dissimulés sous le vernis rassurant de l’Amérique des petites villes, apparente son style à celui de David Lynch, notamment dans Blue Velvet, où la caméra s’enfonce dans l’herbe pour dévoiler une oreille humaine coupée, dévorée par des centaines de fourmis. Depuis le milieu des années 1990 et sa série Hover (1996-1997), son travail s’articule autour d’un thème central : l’étude psychologique des désirs, des angoisses et des peurs refoulés, la vie quotidienne de l’Amérique rurale servant de toile de fond. La sobriété et l’austérité qui s’en dégagent ne sont pas sans rappeler le documentaire. Elles contrastent avec les œuvres suivantes de l’artiste, notamment Dream House (2002), plus colorée et détaillée.

Cette série de photos grand format, dans des atmosphères nocturnes et crépusculaires, se déroule au moment de la journée où la raison cède la place à des forces et des énergies obscures, allant jusqu’à pénétrer à l’intérieur du foyer. Depuis, Gregory Crewdson travaille avec une équipe de tournage complète, tel un réalisateur, en planifiant méticuleusement ses productions. Les œuvres de la série Cathedral of the Pines (2014) marquent une étape essentielle en raison de l’intimité dont elles vibrent, cristallisées par les lieux où elles ont été réalisées, liées à la vie du photographe, de sa compagne et collaboratrice Juliane Hiam et de leurs enfants.